Après-séance: Les fantômes d'Ismaël
- Susie G.
- 29 juin 2017
- 4 min de lecture
Un film, plusieurs histoires, Arnaud Desplechin dans toute sa splendeur !

Synopsis: À la veille du tournage de son nouveau film, la vie du cinéaste Ismaël (Mathieu Amalric) est chamboulée par la mystérieuse réapparition de Carlotta (Marion Cottilard), un amour disparu…
5 films pour le prix d’un !
Arnaud Desplechin définit son film comme étant romanesque, un film où l’on raconte des histoires, où la narration joue un très grand rôle. Et pour cause ! Le réalisateur le dit lui-même : « C’est le portrait d’Ivan, un diplomate qui traverse le monde sans n’y rien comprendre. C’est le portrait d’Ismaël, un réalisateur de film qui traverse sa vie sans n’y rien comprendre non plus. C’est le retour d’une femme, d’entre les morts. C’est aussi un film d’espionnage… Cinq films compressés en un seul […]» Tout se mélange, les narrations, la fuite du fabricant de film la veille du tournage, le retour de Carlotta, incarnation du passé et de la vie qui est là, présente, inéluctable, le film dans le film, celui d’Ismaël dans celui de Desplechin, l’histoire du frère d’Ismaël, de sa femme... Une amusante improvisation dans l’écriture que retrace admirablement la métaphore de Arnaud Desplechin : « Le projet du film est de dépenser de la fiction, c’est comme si on prenait des morceaux de fiction, on les jette contre un mur comme des assiettes, ça fait des petits morceaux, on les refabrique et tout ça… Mais alors par contre au montage, il ne faut pas que vous soyez perdus ! » Ne pas perdre le fil, c’est ce qu’Ismaël tente de faire dans son grenier avec un assemblage de cordelettes reliant deux tableaux de la Renaissance : peut-être qu’en tirant les ficelles des personnages de son film, loin du monde, il parviendra à recomposer les fragments passés et présents de sa tumultueuse existence…

Ci-contre, Arnaud Desplechin au cœur de la modélisation de sa construction narrative alambiquée
Une explication de l’intrigue pour y voir plus clair
L’idée de base de Desplechin résidait en la fuite d’un filmmaker (littéralement « fabricant de film ») hors de son tournage. Pourquoi ? C’est la question à l’origine de tout le film : parce que son épouse disparue depuis 20 ans revient, alors même qu’il avait réussi à reconstruire maladroitement une relation avec Sylvia (Charlotte Gainsbourg). Parce que la vie a repris le dessus, parce qu’elle arrive sur la plage de Noirmoutier, surplombant Sylvia. Il est impossible de nier sa présence, il est trop tard. Ismaël, impuissant, ne pouvant faire face à la situation, fuit. Deux éléments antithétiques et pourtant conjugués forment donc ce film : la fuite du cinéaste et le retour chez les vivants de la femme qu’il croyait morte. Ismaël est hanté par ces fantômes, un frère disparu qu’il essaie de retrouver à travers un personnage à jamais mystérieux dans le film d’espionnage qu’il est en train d’écrire, une femme qui réapparaît après 20 ans… Il est happé dans un tourbillon proche de la folie, entre passé et présent, entre réalité et imaginaire. Tout s’enchaîne et s’accélère, dans le grenier où se profile le dénouement de son film, et où il finit par tirer dans le bras de son producteur par enthousiasme avant de finir ligoté sur le lit conjugal, l’expression « fou à lier » prenant alors tout son sens. Desplechin se plaît à assembler, découper, fragmenter, puis remettre bout-à-bout des éclats de vies entremêlés à des tessons de film, pour mener son public par la main puis le perdre dans son tissage incongru de fiction(s).
Desplechin « remplit la tapisserie » (citation de Hitchcock à Truffaut)
Dans Les Fantômes d’Ismaël, Arnaud Desplechin a potentiellement glissé quelques références à d’autres nébuleuses de l’univers cinématographique qu’il affectionne tout particulièrement. En effet, un spectateur cinéphile au regard aiguisé a pu y voir un hommage aux héroïnes d’Hitchcock, par exemple celles de Vertigo (le personnage interprété par Marion Cotillard se prénommant Carlotta) ou de Rebecca : des femmes d’une beauté excessive ou plus discrète bouleversées par la passion amoureuse, les fantômes du passé qui prennent de plus en plus d’ampleur… Le réalisateur le concède, il a pu laisser entrapercevoir des petits détails ici et là, mais loin de lui l’idée d’en faire du « métacinéma ». Au contraire, il privilégie le visionnage « au premier degré » et préfère se laisser transporter par le récit, les sentiments, les personnages et surtout les acteurs, auxquels il est très attaché.
Ce que nous en avons pensé
Présenté en film d’ouverture du festival de Canne 2017, Les Fantômes d’Ismaël fait partie de ces films que l’on aime ou que l’on déteste. En avoir une vision nuancée est impensable : soit on trouve le scénario absolument génial, avec des idées fantastiquement folles mais dont la suite reste logique, un montage tourbillonnant et vertigineux à couper le souffle, soit on se sent submergé et perdu dans les histoires, les effets vache-qui-rit (plus communément appelés mise en abyme), les flash-back, l’univers plein de panache de Desplechin, qui joue sur les ambiances pour mieux troubler son spectateur. Pour notre part, ce film était une belle invitation au voyage à la fois surprenant et déconcertant dans les folies sans bornes des personnages, si joliment interprétés par des acteurs accomplis. Une excursion très agréable, qu’il faut vivre et regarder « au premier degré ».
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