Un an après la tentative de putsch en Turquie, la purge continue
- Susie G.
- 28 juil. 2017
- 4 min de lecture

Samedi 15 juillet, la Turquie a commémoré la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016 contre le président Recep Tayyip Erdogan. Celui-ci aurait pu être déchu de ses fonctions, mais en est paradoxalement sorti renforcé et assoit son hyper présidentialisme par une riposte de fer, en procédant notamment à une grande purge « nécessaire pour assainir l’Etat des partisans de Fethüllah Güllen, présumé responsable du putsch raté, qui l’ont peu à peu infiltré » d’après le gouvernement turc.
Une purge sans précédent, Erdogan n’hésite pas à employer la violence pour affirmer son autorité
Dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016, la population turque, appelée par son président, descendait dans la rue au nom de la démocratie pour empêcher l’armée de prendre le pouvoir par la force. Depuis, le gouvernement se livre à une chasse aux sorcières, en l’occurrence aux gülenistes, qui inquiète à juste titre des pays européens et des organisations de défense des droits de l’Homme. En un an, ce sont 50 000 individus qui ont été emprisonnés, et plus de 150 000 fonctionnaires qui furent limogés pour affaiblir l’opposition. Cette purge touche l’armée, les Organisations Non Gouvernementales, les médias, les professions libérales, les intellectuels et les artistes libéraux et de gauche. Le 15 juillet 2017, alors qu’une immense foule s’est réunie à Istanbul aux abords d’un des ponts enjambant le Bosphore où s’est déroulé un épisode sanglant de la tentative avortée pour rendre hommage aux 249 victimes, Erdogan a tenu un discours empreint de violence, et s’est déclaré en faveur de la peine de mort : « Avant tout, nous arracherons la tête de ces traîtres ».
Ses opposants l’accusent de « dérive autocratique » : que dire de sa légitimité ?
La tentative de coup d’état a considérablement renforcé Erdogan et le parti de la justice et du développement (AKP), à la tête de la Turquie depuis 2002. Présenté comme « victime d’un complot intérieur et étranger » et « héros national ayant sauvé la démocratie », Erdogan a pu réformer les institutions turques : le 16 avril 2017, la population a en effet approuvé par référendum un projet de réforme constitutionnelle ayant pour objectif d’accroître les compétences présidentielles. Il devient à la fois chef de l’Etat et chef du parti AKP, ce qui fait de lui le chef de la majorité parlementaire et intensifie son pouvoir institutionnel. Nous voyons naître une démocratie décadente, l’avènement d’une dictature de la majorité. 50% de la population adhèrent de fait aux décisions d’Erdogan. Ce dernier légitime par ailleurs la purge qu’il met en œuvre contre ses opposants en rappelant que le peuple a voté pour lui. Cependant, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) et du Conseil de l’Europe estiment que « les électeurs n’ont pas reçu d’informations impartiales sur les points-clés de la réforme », et remettent en question la régularité du référendum. Malgré tout, il ne faut pas minimiser le fait que, selon l’initiative d’un seul homme et de par la mise en place du nouveau régime, un pouvoir autocratique, théocratique et ultra-nationaliste est légitimé.
Une violence et un régime autoritaire légitimés par le truchement d’une propagande islamo-nationaliste et d’un contrôle des médias : la liberté de la presse n’a jamais eu si mauvaise mine !
Ce lundi 24 juillet 2017, pourtant Journée nationale de la presse en Turquie, s’ouvre le procès de 17 journalistes de Cumhuriyet, le plus ancien quotidien laïc et républicain anti-Erdogan. Depuis la tentative de putsch avortée, plus de 150 journalistes ont été emprisonnés et 120 ont été contraints de choisir l’exil. Les accusations sont absurdes, les preuves inexistantes : le motif des interpellations correspond le plus souvent à l’apologie du terrorisme, liée au soutien de Fethüllah Güllen, prédicateur réfugié aux Etats-Unis tenu pour responsable du coup d’Etat raté de 2016, ou du parti des travailleurs Kurdes (PKK). Les peines vont de 7 à 43 années derrière les barreaux. Erdogan s’appuie sur l’Etat d’urgence mis en place en Turquie pour liquider plus de 150 médias : la Turquie se retrouve à la 155è place du classement mondial de la liberté de la presse établi cette année par Reporters sans frontière (RSF).
Comprendre cette situation grâce au contexte régional
Le contexte des révolutions arabes et plus particulièrement de la crise syrienne est non négligeable dans la compréhension de la dérive autoritaire en Turquie. La Turquie partage ses frontières avec la Syrie, l’Irak ou encore l’Iran, elle se sent entourée d’Etats en voie de déliquescence et d’éléments non-étatiques comme Daesh par exemple. Au sein de la population naît alors un sentiment de peur face à ces menaces intérieures ou extérieures. C’est pourquoi le peuple souhaite un Président fort qui puisse rétablir l’ordre et la sécurité. Mais par cette volonté de s’imposer à l’échelle régionale, la Turquie n’est pas tout à fait en bonne voie pour faire partie de l’Union Européenne…
L’Allemagne revoit sa relation avec la Turquie
Depuis l’interpellation de Peter Steudner, fortement critiquée par le gouvernement allemand, la relation entre les deux pays est plutôt orageuse. Le ministre des affaires étrangères allemand Sigmar Gabriel décourage les voyages à destination de la Turquie de façon très explicite.
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