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L'Effet Bilbao : l'art de reconstruire une ville

  • Grégoire B.
  • 9 août 2017
  • 4 min de lecture

Autrefois ville phare de la révolution industrielle en Espagne, Bilbao a bien changé d’image au cours des deux dernières décennies. Le musée Guggenheim établi dans la métropole basque, trônant comme un trophée au cœur du quartier moderne de la ville, en est à la source. Son influence sur la transformation de Bilbao fait désormais porter le nom de la ville espagnole à la désignation d’un phénomène économique, social et culturel.

Bilbao est la plus grande ville de l’autonomie du pays basque avec 350,000 âmes pour une agglomération comptant environ 1 million d’habitants. Elle se range parmi les cinq plus grandes villes d’Espagne. Son port et son industrie se développent au XIXe siècle et attirent banques et commerces, faisant d’elle le centre économique de la région basque. Des institutions importantes telles que la banque de Bilbao ou une bourse sont créées. Une ligne de chemin de fer est construite pour le transport du minerai. De nouveaux quartiers naissent et la superficie de la ville est doublée. Une université est établie. La métallurgie et la sidérurgie alimente toujours l’économie de la ville au XXe siècle et la métropole s’étend toujours plus et accueille toujours de nouvelles compagnies. A partir des années 1970, la ville connait une dégradation de sa santé socio-économique suite à sa désindustrialisation. Elle acquiert la réputation d’être une ville polluée au paysage de friche industrielle. La ville entreprend de reconvertir ses activités pour survivre. La proposition de la fondation Solomon R. Guggenheim aux administrations locales en 1981 d’accueillir un tout nouveau musée de l’organisation avec une collection propre va combler ces vœux de transformation de Bilbao.


Renommée dans le monde entier, la fondation Solomon R. Guggenheim est un organisme sans but lucratif fondé en 1937 par le mécène américain Solomon R. Guggenheim et la peintre allemande Hilla von Rebay. A l’origine de la fondation, une collection de tableaux de von Rebay achetée par l’industriel et collectionneur. La collection se développa à l’initiative de von Rebay qui travailla avec Wassily Kandinsky, Rudolf Bauer et Otto Nebel, de grands artistes de l’abstractionnisme. D’autres œuvres provenant d’autres collections, offertes ou vendues, se sont progressivement jointes aux acquisitions de la fondation, devenue aujourd’hui la plus grande collection d’art de fin du XIXe et du XXe siècles. Les noms de Pablo Picasso, Edgar Degas, Piet Mondrian ou Joan Miro ont été ainsi liés à l’organisation. L’impressionnisme, le postimpressionnisme, l’expressionisme, le surréalisme, l’abstrait, le minimalisme ou encore le Conceptual Art ont leur place dans les musées de la fondation. Ceux-ci sont aujourd’hui au nombre de trois. Le Solomon R. Guggenheim Museum à New York est le plus ancien et sans doute le plus célèbre, fondé en 1939, désigné comme le musée de l’art non-objectif (Museum of Non-Objectif Painting) puis renommé en 1952. Il s’agit de l’une des plus grandes réussites de l’architecte américain Frank Lloyd Wright, avec la collaboration de Hilla von Rebay. Ensuite vient le Peggy Guggenheim Collection à Venise. Déjà créé en 1951, le musée n’a rejoint la fondation qu’en 1976. Le bâtiment du musée est un palais vénitien du XVIIIe siècle, acheté par une nièce de Solomon R. Guggenheim en 1949, qui en fit sa résidence jusqu’à sa mort en 1979. Le bâtiment fut alors complètement restauré et aménagé en musée.


Le Museo Guggenheim Bilbao est depuis octobre 1997 le troisième musée de la fondation. Un concours détermina le projet architectural. L’architecte Frank O. Gehry se distingua parmi les candidats avec un projet au style déconstructiviste aux formes torturées et chaotiques, alliant métal et pierre. L’édifice est l’un des ouvrages les plus importants de l’architecture du XXe siècle et est clairement devenu l’un des symboles de la ville. En plus d’enrichir la ville culturellement, le musée est un succès économique pour l’Espagne du Nord. Des milliers d’emplois sont créés. Quelques 600,000 visites annuelles avaient été attendues, mais ce pronostique a été largement dépassé par le million de visiteurs pénétrant le musée chaque année pour voir les expositions temporaires ou la collection propre du musée, étalées sur plus de 11,000m². 60% des visiteurs viennent de l’étranger ce qui témoigne d’un succès international. La ville entière en bénéficie. Il suffit d’aller à l’office de tourisme près de la gare pour juger de l’importance du tourisme.


Frank O. Gehry devant le Cleveland Clinic Lou Ruvo Center à Las Vegas

Le phénomène de redynamisation de la ville de Bilbao par la construction d’un musée d’art moderne à l’architecture hors-norme a été très observé, commenté et étudié, donnant naissance à l’expression « Effet Bilbao ». Celle-ci désigne la valorisation de lieux à travers la construction d’édifices spectaculaires d’architectes. Quatre conditions doivent être rassemblées pour que l’ « Effet Bilbao » opère : centralité du lieu, encerclement ou proximité d’eau, architecture innovatrice et fonctionnelle et caractère provocateur et spectaculaire. L’expression avait notamment été employée en rapport avec la coupe du monde de football en Afrique du Sud pour expliquer que les infrastructures construites pour l’occasion ne déboucheraient sur aucuns résultats positifs.


L’ « Effet Bilbao » avait déjà été pressenti avant la construction du musée. Avec la naissance d’une génération urbaine au tournant du XXe siècle, des économistes avaient prévu que la globalisation et les multinationales diminuerait le pouvoir de l’Etat pour augmenter celui des villes individuellement. Les villes seraient en compétition les unes contre les autres pour s’imposer comme hubs économiques et culturels, peu importe l'échelle. Les municipalités et les organisations sans but lucratif étaient convaincues qu’une collaboration avec des starchitectes feraient affluer les touristes et stimuler leur activité. La notion de « Starchitecte », pointant la renommée internationale et la véritable célébrité d’architectes avant-gardistes, est aussi apparue vers la fin du XXe siècle et est étroitement liée à l’ « Effet Bilbao », tout comme le « wow factor architectur », expression devenue courante dans les milieux du management au Royaume-Uni et aux Etats-Unis pour promouvoir la construction de bâtiments avant-gardistes dans des environnements urbains en reconversion. De l’argent a été mis à dispositions de centres de recherche, tels que l’Université de Sussex au Royaume-Uni, pour étudier le phénomène. Le Design Quality Indicator, établi par le Conseil de l’Industrie de la Construction (UK) met aujourd’hui le « wow factor architecture » en avant lors des prises de décisions.


La ville de Bilbao renaît de ses cendres grâce au Guggenheim Museum, véritable phénomène culturel, économique et social. Grâce à l’établissement d’une fondation de manière extravagante dans l’enceinte de la ville, la métropole espagnole a pu acquérir une réputation culturelle internationale. Ce n’est pas un hasard si l’expression « Effet Bilbao » porte son nom. D’autres villes telles que Manchester, Helsinki ou Seattle ont connu ce phénomène très recherché.

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