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200 jours d'incarcération de Deniz Yücel : "Chaque jour est de trop"

  • Grégoire B.
  • 1 sept. 2017
  • 5 min de lecture

Aujourd’hui est le 200e jour d’incarcération en Turquie du journaliste de nationalité allemande et turque Deniz Yücel. 200 jours se sont déjà écoulés depuis sa mise en garde à vue. Et chacun de ces jours remet en cause la liberté de la presse et les droits de l’Homme. Un rappel sur cette affaire qui, parmi tant d’autres en Turquie et dans d’autres pays, bouleverse les valeurs démocratiques et humaines.


Deniz Yücel (44) est un journaliste et publiciste de nationalité allemande et turque, auteur entre autres pour Jungle World, le Tagesspiegel, le Süddeutsche Zeitung, NDR, WDR, Die Welt et Amnesty International. De 2007 à 2015, il est également rédacteur du Berliner Tageszeitung, journal pour lequel il écrit des colonnes satiriques, dont certaines ont été récompensées. Il est correspondant en Turquie pour le groupe WeltN24 depuis 2015.


Il connaît en juin 2015 un premier emprisonnement. Il est arrêté en Turquie avec Özlem Topçu, rédactrice politique pour le Zeit, et Pınar Öğünç, journaliste turc, sous l’ordre du gouverneur de la province Şanlıurfa. Cette arrestation est en lien avec une conférence de presse improvisée à un poste frontière avec la Syrie, au cours de laquelle ils avaient posé des questions critiques à l’égard du gouvernement turc.

Après cet évènement, il prend une position critique envers Angela Merkel et sa relation avec le gouvernement turque. Lors d’une conférence de presse à Ankara en février 2016, il évoque face à la chancelière et à son homologue turc la situation critique de la liberté presse en Turquie, situation dont ont souffert et souffrent encore des connaissances de Deniz Yücel, incarcérées, situation dont il a lui-même souffert. Il dénonce l’affaiblissement de la démocratie. Merkel lui répondra qu’elle parle de tout avec les représentants du gouvernement turc, qu’en période de lutte contre le terrorisme, il faut cependant prendre des mesures, que dans le processus de réconciliation elle espère voir la situation en Turquie s’améliorer. D’autres thèmes, comme celui des réfugiés, lui paraissent prioritaires dans l’immédiat. A l’issu de la conférence, il sera attaqué par le ministre-président Ahmet Davutoğlu, devant lequel il avait fait ces accusations, et la presse pro-gouvernemental.


Le 25 décembre 2016, le journal turc Sabah signale l’arrestation de Deniz Yücel, en même temps que les investigations ciblant le collectif communiste de hackeurs turc RedHack. RedHack avait obtenu l’accès aux mails de Berat Albayrak, ministre de l’Energie et des Ressources naturelles et beau-fils de Recep Tayyip Erdoğan. Les mails avaient été partagés avec des médias turcs de l’opposition, indiqués sur WikiLeaks, et le 5 décembre 2016 rendus publiques sur une banque de données transparente (Berat’sBox). Yücel écrit deux articles sur les mails dévoilés par RedHack pour Die Welt. Six journalistes turques sont arrêtés simultanément lors de razzias en lien avec cet évènement. Yücel n’était alors plus en Turquie.


Le 14 février 2017, il est arrêté à l’aéroport d’Istanbul. On l’accuse d’appartenir à un groupe terroriste, d’avoir exploité de manière abusive des données et de faire de la propagande terroriste. Le président de l’association des journalistes allemands, Frank Überall, condamne cette arrestation.

"Es zeigt, dass Präsident Erdoğan versucht, den Ausnahmezustand zu missbrauchen, um unliebsame Berichterstattung unmöglich zu machen. Wir erwarten von der Bundesregierung, dass sie den Fall aufgreift und ihre diplomatischen Kanäle nutzt, um unseren Kollegen zu schützen."

Frank Überall

« Cela démontre que le président Erdogan tente d’abuser de l’état d’urgence, afin de rendre impossible les investigations et reportages allant à son encontre. Nous attendons du gouvernement fédéral qu’il s'empare de cette affaire et utilise ses connections diplomatiques pour protéger notre collègue. »

Merkel condamne le 27 février la garde à vue de Deniz Yücel qu’elle juge amère et décevante, ainsi que très dure. Le gouvernement fédéral attend que la justice turque considère à l’occasion du cas de Deniz Yücel la valeur de la liberté de la presse pour toute société démocratique. Le ministe de l’extérieur Sigmar Gabriel promet de tout essayer pour libérer Yücel. Les diplomates allemands ne peuvent cependant pas rencontrer Yücel, bien que le ministre-président Binali Yildirim l’avait assuré à Merkel. Il ne reçoit la visite d’un diplomate que le 4 avril.


Le 11 avril, Wolfang Schäuble, ministre fédéral de l’Economie, remet en cause les aides financières adressées à la Turquie en raison de l’incarcération de Deniz Yücel. Deux jours plus tard, Erdogan répond en prétendant que l’Allemagne refuse de libérer des citoyens turcs et que c’est pour cette raison qu’il refuse de livrer le journaliste allemand et turc.


Tout autant que la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, la législation turque n’est pas respectée dans le procès concernant Yücel. D’après le droit turc, un journaliste ne peut être incarcéré à cause du contenu d’articles parus quatre mois avant la détention. Or, les textes évoqués dans la situation de Yücel sont pour certains plus anciens. La Cour Européenne des Droits de l’Homme réclame à la Turquie d’exprimer sa position avant le 23 octobre 2017.


Dilek Mayatürk-Yücel (30), productrice TV travaillant à Munich et Istanbul, épouse Deniz Yücel en avril 2017, alors que ce dernier est toujours détenu par les autorités turques. Lors d’une interview avec le Spiegel, elle rapporte que, d’après son impression lors d’une visite récente, son mari se porterait relativement bien. Elle explique que Deniz est un homme qui s’efforce de voir le côté positif de chaque situation et que sa personnalité lui porte secours dans le contexte de sa détention. Son isolement est toujours aussi important. Dilek dénonce les conséquences que peuvent avoir une telle détention dans l’isolement sur un être humain et que leur vie commune sera bouleversée à jamais après cet évènement. Une telle incarcération est contraire aux droits de l’Homme. Le quotidien de Deniz se réduit à lire et pratiquer un peu de sport, en cellule ou une heure par semaine sur le terrain de sport des détenus. Il a le droit à dix minutes d’appel téléphonique toutes les deux semaines.

"Es sind 200 Tage. Und jeder Tag ist zu viel."

Dilek Mayatürk-Yücel


Dilek rapporte ne pas pouvoir réaliser, qu’aujourd’hui même, la liberté d’opinion et les droits de l’Homme doivent être défendus. Aujourd’hui encore, dans certains pays dont la Turquie, des hommes et des femmes sont emprisonnés alors qu’ils essayent seulement d’exercer leur métier. D’autres problèmes tels que le changement climatique ou la faim dans le monde pourraient être plus efficacement combattus, s’ils étaient les seuls problèmes de nos sociétés.



Des milliers d’opposants au régime d’Erdogan et de journalistes indépendants sont arrêtés en Turquie, accusés de participer à des actions terroristes et incarcérés dans de très mauvaises conditions. Parmi ces hommes et ces femmes, Deniz Yücel est détenu depuis 200 jours à partir d’aujourd’hui. Se remémorer son incarcération, c’est prendre conscience que la situation en Turquie ne s’est pas améliorée depuis et que les droits de l’Homme et les libertés qui nous semblent les plus évidentes demandent toujours et encore d’être défendues.


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