top of page

Combattre l'extrême droite par le dialogue et l'empathie

  • Grégoire B.
  • 23 sept. 2017
  • 5 min de lecture

Le 9 et le 10 septembre, Amnesty International France a organisé son Campus de rentrée annuel, la deuxième édition de ce grand rendez-vous pour les militants de l’ONG luttant pour le respect des droits de l’Homme, mais aussi pour les adhérents d’autres organisations telles qu’ATD Quart-Monde ou CCFD Terre-Solidaire, tout autant que pour des défenseurs des droits ou les visiteurs curieux et avides d’en apprendre sur les droits de l’Homme, les combats et le fonctionnement d’Amnesty. A l’occasion de cet évènement, le philosophe Patrick VIVERET est intervenu dans le cadre d’un atelier portant sur la manière avec laquelle les militants d’Amnesty International devraient dialoguer avec des individus touchés par l’extrême droite. La présentation de ses idées a été accompagnée par les remarques d’une chercheuse en sociologie politique à Oxford. Ces discussions fournissent des informations et des idées qui offrent une vision différente et plus pertinente du paysage de l’extrême droite en France. Cet article exclusif vous présente ainsi le contenu de cet atelier particulièrement enrichissant.



Le soutien électoral apporté au Front National varie selon un phénomène cyclique. L’idée d’une montée progressive et exponentielle de l’extrême droite n’est qu’un discours médiatique. Au contraire, alors que l’on peut penser que les positions radicales gagnent en France, les Français semblent n’avoir jamais été aussi tolérants. En effet, la Commission Nationale Consultative des Droits de L'Homme (CNCDH) a élaboré un index des tolérances qui révèle que, malgré les multiples attentats qu’a subi la France ces dernières années, la confiance dans l’autre se maintient et que la tolérance envers les minorités augmente même. Les Roms constituent aujourd’hui la communauté qui actuellement fait face à la discrimination la plus forte. Il faut cependant préciser que la xénophobie n’est dichotomique. Nous sommes tous plus ou moins xénophobes. On ne peut estimer qu’une part de xénophobie chez chacun. Il a été observé que plus le niveau d’études est élevé et moins la peur de l’autre est importante. Ce résultat peut s’expliquer par la confrontation avec différentes personnes durant les études d’origines, d’ethnies ou de croyances diverses. De plus, la révolution post-matérialiste qu’a connu la France à partir de 1968 a favorisé les progrès de la tolérance. Les générations précédentes étaient préoccupées par la satisfaction de leurs besoins primaires. Après la 2e Guerre Mondiale, la garantie d’une alimentation suffisante et de la jouissance d’un logement étaient des priorités. La satisfaction des besoins primaires n’est plus la priorité des nouvelles générations qui ont se tournent vers les connaissances, la culture, des causes environnementales… L’élargissement de l’accès à l’éducation a permis un gain de tolérance.


40% des adhérents au FN réprouvent l’accueil de migrants et 90% sont opposés à l’existence de L’Union Européenne. S’il l’on accepte l’idée que la tolérance gagne en France, il faut voir l’électorat du FN comme une minorité. Malheureusement, le FN parvient toujours à atteindre de nouveaux électeurs. L’électorat de gauche, les classes moyenne et supérieure demeurent difficilement accessible. L’électorat féminin a également longtemps été réticent à supporter le parti d’extrême droite. C’est en 2012, alors que Marine Le Pen faisait campagne et critiquait le plafond de verre qu’elle a gagné le support d’une plus grande part de femmes. Depuis qu’elle présidente du parti, les écarts d’effectifs lié au genre s’estompent. En 2012 et en 2017 ont voté autant de femmes que d’hommes pour le FN. On observe également des transferts entre les partis communistes et le FN. Cela s’explique par des différences entre les générations d’ouvriers. Les jeunes ouvriers ont moins d’expérience syndicale et sont ainsi plus réticents au monde ouvrier et à ses instances. Ils peuvent avoir un sentiment d’abandon lié à des problèmes de précarité et non à l’immigration. Ils développent une méfiance vis-à-vis des pouvoirs publics. Tout cela motive un rapprochement avec les idées de l’extrême droite. Cependant il serait impertinent de dire que tous les extrêmes se ressemblent, comme le laissent entendre certains discours. 99% des adhérents de l’extrême gauche dépassent les différences ethniques et culturelles. Les racines des populismes de droite et de gauche sont fondamentalement différentes.


L’extrême droite bénéficie d’une surmédiatisation. L’exemple de « Rescue Europe » en est une preuve. Il s’agit d’un groupe de génération identitaire qui a profité d’un écho médiatique démesuré à travers une campagne Twitter pour récolter de l’argent afin de financer un bateau destiné à renvoyer les embarcations de migrants vers l’Afrique. L’élection de Donald Trump aux Etats-Unis le démontre tout autant. Les actions des blocs identitaires sont des actions spectaculaires qui débloquent une forte médiatisation qui dépasse la réalité des effectifs. Le FN est un « bon client » pour les médias commerciaux car il enflamme l’intérêt public. Tendance des médias à dramatiser la « poussée » du FN et de l’extrême droite. Egalement tendance à rendre spectaculaire l’immigration en France et en Europe malgré des chiffres relativement ridicules.


Lorsqu’il observe la xénophobie ou le racisme des militants d’extrême droite face aux immigrants et aux réfugiés, Philippe VIVERET voit une « guerre entre victimes ». Il part du constat que les personnes qui adhèrent à des idées extrémistes sont des « victimes » qui voient leur monde s’écrouler, qui subissent différentes formes d’oppression, qui se sentent oubliées ou négligées. Cela peut s’expliquer du fait de la désindustrialisation de la France, du chômage, de l’émergence de nouvelles cultures, de la perte de valeurs traditionnelles. Ces personnes se retournent alors vers d’autres victimes à un échelon inférieur, aujourd’hui les réfugiés ou les victimes de la grande pauvreté. Ce comportement s’explique par le fait que ces personnes radicalisées ont peur de reculer dans la hiérarchie sociale ou de se voir marginaliser par d’autres groupes qui attirent plus l’attention. C’est une attitude contradictoire qui ne va pas dans leurs intérêts. Au lieu de remettre en cause le système, elles font payer des individus plus faibles, par peur du déclassement. Elles refusent de devenir comme les individus « inférieurs » et se considèrent, en tant que victime, comme prioritairement menacées.


La notion de « peste émotionnelle » introduite par REICH dans son ouvrage « L’analyse caractérielle » peut-être une notion clé pour comprendre la société française d’après Patrick VIVERET.

On ne combat pas des affectes par des arguments.


Les individus radicalisés ont construit un mur d’incompréhension contre l’argumentation qui peut être développée à l’encontre de leurs idées. Il faut donc instaurer un dialogue à dimension émotionnelle et adopter une attitude d’empathie. Il ne faut pas se poser en tant que groupe mais partir de soi-même en se posant la question « que se passerait-il si mon monde était en train de disparaître ? ». A la rationalité et aux rapports de force s’opère toujours une résistance émotionnelle. Il faut amener à l’entente d’éléments communs. Il faut incarner l’espérance d’un nouveau monde, ce que Patrick VIVERET appelle « la stratégie érotique mondiale ». Les électeurs du FN sont touchés par un sentiment d’abandon incompréhensible pour Amnesty International mais aussi pour beaucoup d’autres. VIVERET cite Spinoza : « On ne combat pas des affectes par des arguments ». Il s’agit de combattre des émotions dégressives par d’autres émotions pour que naisse une conflictualité féconde, fondée sur l’alternative d’émotions de joie et de tristesse. Il s’agit d’insuffler une force de vie (« valor »). Il faut lever des énergies.


L’autrui est plus une chance qu’une menace. Le bien-vivre est devenu une question politique et non pas personnelle. Il est conseillé de partager des expériences, ce qui peut attirer l’empathie. P. VIVERET a évoqué dans ce sens le Programme du Conseil National de la Résistance adopté par le CNR en 1944, intitulé « Les Jours Heureux par le CNR ». Il faut mobiliser les énergies du côté des forces de vie. « Choisir d’être heureux est un acte de résistance politique. » - Patrick VIVERET

コメント


Autres articles qui pourraient vous plaire:
bottom of page